Sanctions administratives: Quelle application par la Commune de Namur en ce qui concerne les mineurs?
27/06/2013 23:10
En préambule, permettez-moi d’expliquer brièvement ce que contient le projet de loi adopté le 30 mai dernier par la Chambre des représentants.
Il s’agit d’offrir aux communes la possibilité d’infliger une ou plusieurs des sanctions prévues par la loi pour des faits tels que : injures, destruction de voitures, wagons, véhicules à moteur, vol, destruction de tombeaux, monuments, graffitis, tapages nocturnes, dissimulation du visage dans un lieu accessible au public, infractions relatives à l’arrêt et au stationnement …
Les sanctions et mesures alternatives à celles-ci sont les suivantes : amende administrative de 175 à 350 euros, suspension ou retrait administratif d’une autorisation ou permission délivrée par la commune, fermeture administrative d’un établissement à titre temporaire ou définitif, la prestation citoyenne ou la médiation locale.
Permettez-moi également de souligner que je suis d’accord avec l’idée selon laquelle nous devons lutter efficacement contre le sentiment d’impunité et le sentiment d’insécurité. Les personnes qui enfreignent les règles doivent se les voir rappelées. Les victimes doivent être prises en considération et doivent obtenir un signal réparateur et voir que la Justice fonctionne. Que ce soit sur le plan institutionnel ou celui des valeurs.
Bien entendu, je regrette que la mise en œuvre de ces sanctions administratives soit essentiellement motivée par le manque de moyens attribués à nos institutions judiciaires. Mais nous n’allons pas refaire, ici, le débat qui s’est tenu à la Chambre.
Je veux également rappeler que cette loi, adoptée le 30 mai dernier, n’est pas une nouveauté absolue. L’article 119 bis de la NLC prévoyait déjà les dispositions relatives aux sanctions administratives communales. Celles-ci autorisaient les communes à sanctionner administrativement les mineurs à partir de 16 ans. Le nouveau projet de loi élargi le champ d’application aux mineurs dès 14 ans.
C’est bien entendu l’un des éléments qui a cristallisé les réactions de plus de 200 associations qui travaillent avec les jeunes, dont celle de la Fédération Infor Jeunes que je dirige.
Des tentatives de discussions ont été entreprises mais Mme Milquet n’a pas souhaité ouvrir le débat à nos représentants du secteur jeunesse en commission de la Chambre.
Ce refus pose évidemment question !
Comment expliquer que le Délégué général aux Droits de l’Enfant, par exemple, ne soit pas auditionné dans un tel contexte ?
Son avis officiel sur l’avant-projet de loi relève pourtant une série de points qui auraient mérité que la Commission de l’Intérieur s’y attarde, parmi lesquels :
- La mise en demeure de la Belgique par le Comité des Droits de l’Enfant de faire une évaluation de la conformité de la loi sur les SAC avec la Convention internationale des Droits de l’Enfant ;
- Le fait que la spécialisation et la formation des fonctionnaires sanctionnateurs n’est nullement prévue. Or, le Comité des Droits de l’Enfant a expressément rappelé à la Belgique la nécessité d’une formation aux Droits de l’Homme et aux Droits de l’Enfant, pour tous les professionnels travaillant pour et avec des enfants.
Aujourd’hui la Chambre a voté, le texte sera prochainement publié au Moniteur belge et entrera en vigueur dans les six mois qui suivront.
A ce moment, ce sont les communes qui reprendront la main !
Il me semble dès lors essentiel, à la lumière des enjeux et des crispations qu’ils peuvent engendrer, de garder à l’esprit tous ces éléments et de tenter, au niveau communal, d’anticiper au maximum et de travailler, dès à présent, sur ce texte et ses implications possibles pour nos concitoyens.
Très concrètement, ce travail doit, selon moi, se concentrer sur 7 axes :
Premièrement l’évaluation du dispositif existant. En effet, Namur « pratique » déjà les sanctions administratives communales depuis quelques années. Et, même si Mme Milquet n’envisage pas d’évaluation au niveau fédéral avant deux ans, rien ne nous empêche d’y travailler pour notre commune dès aujourd’hui. Cette évaluation permettrait d’éclairer nos discussions futures au Conseil communal sur ce dispositif et les modifications que nous pourrions y apporter. Cette évaluation devrait porter tant sur des critères quantitatifs (nombre d’infractions, nombre de PV dressés, nombre d’amendes perçues, montant total des amendes, pourcentage de mineurs, …) que qualitatifs (nature des infractions, nature de la sanction, délai d’exécution, amélioration effective du cadre de vie, formation de l’agent constatateur …).
Deuxièmement la concertation avec le Conseil de la Jeunesse et les organisations de jeunesse locales. Dans l’hypothèse où la commune souhaiterait rendre applicable ces sanctions aux mineurs, cette démarche est rendue obligatoire par le projet de loi lui-même.
Troisièmement la définition concertée des incivilités.
Quatrièmement la médiation. La loi rend le recours à la médiation obligatoire dans le cas de faits commis par les mineurs de 14 ans. Cependant, je ne suis pas nécessairement convaincue que la médiation forcée soit un gage de grand succès. Il me semble donc essentiel de pouvoir discuter de cette question avec les services compétents. Il devrait, selon moi, s’agir d’un préalable à une éventuelle décision d’appliquer ces SAC aux mineurs de moins de 16 ans. Par ailleurs, il conviendrait également de se pencher sur le coût que la mise en route de ce mécanisme engendrera pour la commune.
Cinquièmement le devoir d’information. Dans l’hypothèse d’une application aux mineurs il est essentiel de réfléchir, dès aujourd’hui aux mécanismes mis en place pour permettre de répondre à l’article 15 de cette loi. Celui-ci prévoit que la commune doit informer tous les mineurs et pères, mères, tuteurs ou personnes qui en ont la garde, habitant la commune, des infractions commises par les mineurs qui sont punissables de sanctions administratives.
Sixièmement la réflexion sur les alternatives qui devra, bien entendu, s’envisager en partenariat avec nos opérateurs jeunesse locaux. Nous pouvons faire des propositions à vocation pédagogiques et éducatives de responsabilisation des mineurs. Je pense qu’elles auront plus d’impact sur la qualité de notre vivre-ensemble qu’une amende, la médiation forcée ou les prestations citoyennes.
Septièmement la concertation intercommunale. Il faut en effet éviter que des effets similaires puissent avoir une multitude de conséquences différentes.
Monsieur le Bourgmestre,
Sur base de tous ces éléments, il m’importe aujourd’hui de vous entendre sur l’application concrète que vous donnez d’ores et déjà aux SAC et les éléments d’évaluation que vous pouvez d’ores et déjà en tirer.
Bien entendu je suis également très impatiente de connaître votre point de vue sur le projet de loi concerné et le suivi que vous comptez lui donner.
Je souhaiterais particulièrement entendre l’orientation que vous comptez donner à la possibilité qui est offerte aux communes de sanctionner les mineurs à partir de 14 ans.
Pourriez-vous également nous faire part de votre volonté de dialoguer ou pas sur les différents éléments que j’ai pu mettre en exergue avec l’ensemble des acteurs concernés : majorité, opposition, associations de jeunesse, service de médiation, agent sanctionnateur … ?
Enfin, au-delà du texte de cette loi, il y a le malaise sociétal latent qu’elle traduit : la difficulté du vivre ensemble dans le respect de la diversité. Dès lors, il me semble, que quelle que soit la volonté d’étendre ou pas le champ d’application aux mineurs, nous devrons ouvrir le débat de l’image et de la place des jeunes à Namur.
En conclusion :
Tout comme Mme Milquet, je ne crois pas que les jeunes soient hostiles au respect des autres, de leurs différences, de leur intégrité et de leur dignité, au respect des normes de vie en commun, au respect de l’environnement et de la propreté. Comme Mme la Ministre, je crois qu’ils ne sont pas favorables aux actes de violence ni au vol[1].
Et, contrairement à Mme Brems[2], je me refuse à admettre que la tolérance mutuelle et en particulier celle à l’égard des jeunes puisse relever de l’utopie.
Dès lors, faisons en sorte que cela ne devienne jamais une utopie, et travaillons ensemble, au niveau communal, pour trouver des voies qui soient plus appropriées que celles présentées dans le décret pour améliorer le vivre ensemble entre nos concitoyens namurois jeunes et moins jeunes.
Je vous remercie pour votre attention.
Gwenaëlle Grovonius,
Conseillère communale
[1] « L’unique ambition de ce projet de loi est de promouvoir une société […] respectueuse des règles et d’autrui. […] Je ne pense pas que les jeunes soient tout à coup hostiles au respect des autres, de leurs différences, de leur intégrité et de leur dignité, au respect des normes de vie en commun, au respect de l’environnement et de la propreté. Ils ne sont pas favorables aux actes de violence ni au vol. … », Joëlle Milquet, Cdh, CRABV 53 PLEN 145, 30/05/2013.
[2] « Les SAC sont devenues le symptôme d’une société aigrie où la tolérance mutuelle et en particulier celle à l’égard des jeunes relève plus que jamais de l’utopie », Eva Brems, Ecolo-Groen, CRABV 53 PLEN 145, 30/05/2013.